Bordeaux Aquitaine Marine

Corsaires algériens en 1775

par Alain Clouet

Compte de la prise de sucre, de bois de Campêche et de peaux, faite par le chébec d’Oulid-Ami-Khodja

que commande le raïs Indja-Mohammed Rbe – Rebi (juin 1775).

Les prises des corsaires algériens étaient suivies administrativement dès le 18e siècle. Ce service était dirigé par deux fonctionnaires, le khodjet el-r’endîm (responsable de l’administration des prises) et le khodjet el-bandjeh (responsable chargé de la part de prise de l’Etat). C’est le responsable des prises qui assurait toute l’organisation de la vente des prises une fois le bateau arrivé au port et était responsable de la répartition du butin. A cette fin, il tenait un registre où était inscrite chaque prise avec les dépenses et les ventes afférentes. Nous donnons ci-joint la reproduction d’une répartition datant de 1775. De part la loi ottomane, la coque du navire capturé revenait automatiquement au beylik (c'est-à-dire le gouvernorat d’Alger, en l’occurrence) qui en disposait à sa guise. Le reste du navire (marchandises, équipage, armement) était ensuite vendu aux enchères publiques. Le montant de cette vente, après déduction des frais et des payes de certains personnels, et versement du cinquième au beylik était ensuite réparti suivant le nombre de parts attribuées. C’est le détail de ces dépense qui était enregistré dans le « registre des prises ». 1. Frais d’armement (exprimés en rials et huitièmes de rials) du chébec d’Oulid-Ami-Khodja . A noter que le rial valait à cette époque 1,125 francs. Rials huitièmes Bandjek 1785 4 Déchargement 300 Capitaine de prise 150 5 Prime d’abordage 4 2 Chaouch, agha et serviteur du détachement des janissaires 20 2 chaouch musulman du bandjek 40 4 chaouch juif du bandjek 20 2 changeurs 48 crieurs (de la vente aux enchères) 24 pesage 102 les 2 frégates et le bateau 27 gardiens 6 frais divers 6 5 crieurs de peaux 54 local 4 4 chébec espagnol attaqué par deux chébec algériens en 1738 (peint par Ángel Cortellini Sánchez) ouardian 9 oukil el-hardj 9 port 116 Total des dépenses 2.727 rials 5 hutièmes 2. Répartition des parts Total du produit 14.284 A déduire 2.727 5 Reste 11.556 3 Dont moitié 5.578 1 Prix du sucre 37.490 soit à partager 43.268 1 Nombre de parts : 341 Montant de chaque part : 126 rials 5 huitièmes Si nous reprenons dans l’ordre la page de registre présentée ici, nous avons les dépenses suivantes : Les droits de l’Etat. Ils étaient au nombre de trois : - Le bandjek (le cinquième) était le nom de la part de l’Etat prélevé sur le produit brut du butin. L’origine de ce cinquième remonte au Coran (verset 42) : « Sachez que lorsque vous avez fait un butin, la cinquième part en revient à Dieu, au Prophète, aux parents, aux orphelins, aux pauvres et aux voyageurs, si vous croyez en Dieu ». En fait cette pratique variait selon les époques. Dans notre exemple, cette part est plutôt du huitième. - Le caîd eddoukhan (directeur du tabac) était un droit variable, mais qui ne dépassait jamais 1%. - Les droits de port, généralement fixés à 1%. Les droits perçus par les agents portuaires. Les agents habilités à percevoir des droits étaient : - Le Oukil el-Hardj, sorte de ministre de la marine du Bey. - Le Ourdian, agent chargé de la police du port. - Le Caïd el-mersa, directeur du port. C’est lui qui accueillait les navires arrivant sur rade, et il était d’usage de lui donner une gratification. - Les patrons des frégates. Il y avait une ou deux petites frégates de surveillance à l’entrée du port. Leurs équipages touchaient une gratification lors de la répartition des prises. - Les marabouts dont les restes étaient déposés dans des mosquées, recevaient eux aussi une gratification sur la vente des prisonniers. Elle profitait aux oukils, administrateurs des mosquées. En échange, les oukils autorisaient les corsaires à emmener en mer le pavillon du marabout pour l’arborer au combat. Les primes accordées à l’équipage - Prime aux détachés. Les détachés, c’est-à-dire, les personnels embarqués par ordre du dey, étaient les janissaires (soldats) et l’écrivain. Ils participaient, comme tout un chacun, aux parts. Mais l’aga (leur commandant), le chaouch (prévôt), le soldat chargé des soins matériels et le khodja (écrivain) avaient droit en outre à une gratification. - Prime d’abordage. Cette prime accordée à celui qui sautait le premier sur le navire ennemi, n’était à vrai dire que peu attribuée car les abordages étaient finalement rares, le navire marchand ne se battant que rarement. - Ces deux primes furent supprimées en 1795 lors de la création du Diwan (commission d’amarinage). Le diwan était une commission formée des officiers de l’équipage et des janissaires. C’est cette commission qui se chargeait de l’inventaire et de la sécurisation des prises à bord pour éviter les détournements. Les membres du diwan avaient droit à une gratification. - Prime aux capitaines de prise. Chaque corsaire embarquait plusieurs raïs, qui ne faisaient aucun service à bord, mais qui prenaient en charge les navires capturés. Ils touchaient alors un pourcentage sur le butin. - Dépenses engagées pour la vente de la prise. Il fallait défrayer tous les acteurs de la « supply chain » - Les dockers - Les gardiens chargé de surveiller le navire capturé au port. - Les Biskeri qui étaient des hommes originaires de l’oasis de Biskra et se chargeaient du transport à terre et dans les canots à titre de rameurs. - Le local. Ce local était loué pour entreposer les marchandises en attendant leur vente. - Les dellalin (crieurs) s’occupaient de la vente à la criée. - Le peseur, obligatoire pour assurer le mesurage ou le pesage des objets mis en vente. - Le changeur assurait le change des monnaies étrangères trouvées, en rials. - Le fret, allocation de compensation payée aux navires « amis » capturés par erreur pour les dédommager de leur visite forcée à Alger. - Les frais de pompage, en cas de voie d’eau au port.

La course à Tunis

Le système de parts tunisien se rapproche du système algérien. On commence par déduire les frais d’armement. Le dey se réserve la coque du navire et la moitié du butin, esclaves compris s’il est seul armateur. S’il est associé, sa part diminue d’autant mais il peut racheter esclaves et marchandises à son prix. Le reste est réparti ainsi : - Le raïs 6 parts - Le sous-raïs 4 - Le nocher 4 - Le maître canonnier 4 - L’écrivain 3 - Les timoniers 2 - Le patron de la chaloupe 2 - Les matelots ½

Bibliographie :

- Hadley, J.M. - Le livre d'or des israélites algériens - Bouyer, Alger, 1871 - Devoulx, Albert - Registre des prises algériennes - Jourdan, Alger, 1872 - Valensi, Lucette - Esclaves chrétiens et esclaves noirs à Tunis au 18e siècle – Annales d’histoire économique et sociale, N° 2, 1967 - p1267- 1288
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